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Etude et conservation d'œuvres polychromées en provenance d'un musée de Verviers

Rencontre avec Erika Rabelo et Violette Demonty, conservatrices-restauratrices dans l’atelier des sculptures en bois polychromé, à propos d’une poupée malinoise et d'un "Dieu le père" amenés à l'IRPA fin novembre suite aux inondations survenues en juillet 2021.

Une poupée malinoise du XVIᵉ

Erika Rabelo: C'est une poupée malinoise qui date du début du XVIᵉ siècle qui vient du Musée des Beaux-Arts et de la Céramique de Verviers. Cette “Vierge à l’Enfant” était présentée dans une salle d'exposition au sous-sol du musée qui a été complètement immergé. L'eau est bien sûr rentrée dans la vitrine. Sans la vitrine, elle aurait été emportée par l'eau. Elle est restée immergée deux jours en contact avec de l'eau boueuse et très toxique, car mélangée à d’autres composants comme du fioul, mais aussi du beurre et des petites fibres de couleurs différentes, sans doute à cause d’une fabrique utilisant du tissu ou de la laine dans les environs.

Suite à ça, elle est venue ici pour qu'on découvre avec précision l'ampleur des dégradations et que l’on puisse étudier les couches de polychromie. Connaitre les techniques utilisées permet de choisir un traitement approprié. On a commencé par l’observer minutieusement au microscope binoculaire afin de réaliser une étude stratigraphique, c’est-à-dire l'étude des couches colorées de la sculpture. En parallèle, suite à une série de tests, on a procédé à un refixage pour pouvoir la manipuler. On a trouvé, par ailleurs, un petit psoque, un insecte habitué des milieux humides. Fort heureusement, ce n’était pas une colonie.

On s'est rendu compte tout de suite qu'il y avait énormément de soulèvements très prononcés sur toutes les zones, et particulièrement de la robe et le manteau. Grâce à l'étude stratigraphique, nous avons décelé des dorures, polies et mates, mais aussi de l'azurite en deux couches, avec des granulométries et tonalités différentes. L’azurite est un bleu très velouté, fort utilisé à l'époque. Mais ces couches picturales se détachaient du support, car la base de préparation était elle-même soulevée.


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Grâce à la photothèque de l’IRPA, nous avons retrouvé des photos de 1945 qui présentaient l'état de conservation d’objet à cette époque. On voyait déjà un réseau des craquelures préexistant. Avec l'inondation, tous ces réseaux de craquelures se sont éclatés. La situation était extrême. Une des questions de savoir si, après une inondation pareille, on pourrait dégager la polychromie d'origine. Parce que ce que nous voyons maintenant, ce n'est pas la polychromie d'origine, c'est un mélange de gris/bleu qui a été surpeint à postériori. Mais vu que le détachement s'est fait entre le support et la base de préparation, le dégagement de la couche initiale est très compliqué, voire impossible.

On s'est donc occupé de fixer avec deux campagnes d'adhésif puis de nettoyer délicatement à l’aide de solvants après une série de tests pour choisir le traitement le plus adapté à l'objet. Chaque sculpture étant particulière, elle va réagir différemment suite à une inondation: non seulement les supports sont différents, les types de bois, les couleurs, mais les techniques de chaque artiste varient. Cette étude nous permet de mieux comprendre une dégradation d'un cas extrême et de proposer des solutions spécifiques pour chaque objet. Son traitement est maintenant pratiquement fini. On attend encore le résultat du labo concernant un résidu de boue. L’objet reste fragile et est donc à surveiller dans le temps.

De petits tests ont été effectués pour évaluer la possibilité de dégager la polychromie originale mais ceux-ci se sont avérés quasi impossibles. L’eau s’est infiltrée dans les craquelures, montrant ainsi une irréversibilité des dégâts.

Erika Rabelo

Une sculpture de Dieu le père datée vers 1500

Violette Demonty: Il s’agit d’une sculpture représentant Dieu le Père en buste sur un nuage, elle est datée vers 1500 et faisait probablement partie à l’origine d'un ensemble plus important, tel qu’un autel ou un retable. L’œuvre appartient aux collections du Musée des Beaux-Arts et de la Céramique de Verviers, où elle était exposée en vitrine au sous-sol du musée. Durant les inondations de juillet 2021, la sculpture est restée complètement immergée durant plus de 24 heures dans une eau boueuse et polluée (usine laitière et fabrication de laine aux alentours). Un échantillon de cette boue est en cours d’analyse par les laboratoires de l’IRPA.

Nous nous sommes rendus sur place à Verviers avant le transport de l’œuvre pour réaliser une mission « facing ». Cela consiste à poser des petits pansements en papier à la surface pour protéger les zones fragilisées et permettre ainsi un transport sans perte. Lors de cette visite in situ, nous avons été particulièrement touchées par l’ampleur des dégâts, certaines altérations irréversibles ont été observées.

La sculpture du Dieu le père présente différents niveaux de polychromie. Nous avons réalisé une étude stratigraphique et topographique de celle-ci, et analysé comment les différentes couches ont réagi suite à l’immersion prolongée. La polychromie présentait d’impressionnants problèmes de soulèvements, pouvant aller à certains endroits jusqu’à 1 cm de hauteur. L’ensemble de la polychromie a été refixée et aujourd’hui son état est stable, mais reste à surveiller compte tenu de cette situation inédite. En effet, le bois est un matériau hygroscopique qui peut retenir et rejeter l’eau. Les couches picturales, elles, réagissent de manière différente.

De petits tests ont été effectués pour évaluer la possibilité de dégager la polychromie originale, mais ceux-ci se sont avérés quasi impossibles. Si les surpeints ont protégé en certaines parties la polychromie originale, l’eau s’est infiltrée dans les craquelures, montrant ainsi une irréversibilité des dégâts. Dans ce sens, l’adhésif de refixage a été sélectionné pour sa réversibilité afin qu’il n’empêche pas l’étude future des couches sous-jacentes.

Aujourd’hui l’œuvre est présentable, elle sera conservée à l’atelier de sculpture en bois polychrome de l’IRPA le temps que le musée de Verviers puisse l’accueillir et l’exposer dans les meilleures conditions. L’étude fera l’objet d’une publication en collaboration avec les collègues de la cellule de conservation préventive et des laboratoires.

Ce travail a été possible grâce à l’octroi d’une subvention à l’IRPA, par le secrétaire d’État en charge de la Politique scientifique, Thomas Dermine, afin de poursuivre le travail de sauvetage et les réflexions relatives à l’établissement de plans d’urgence et de recherches sur les effets des inondations sur le patrimoine.

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