Continuer vers le contenu

Mieux comprendre la formation des oxalates métalliques dans les couches picturales à l’huile avec le projet MetOx

La lumière, l’humidité et les produits de restauration peuvent provoquer des transformations chimiques au sein des matériaux picturaux. Dans certains cas se forment des produits d’altération comme des oxalates métalliques, qui apparaissent, parfois, sous la forme d’un voile grisâtre. Grâce au projet MetOx, le Laboratoire des polychromies de l’IRPA, en collaboration avec des partenaires internationaux, a étudié ces phénomènes.

Période
2016-2022
Partenaires
Université d'Anvers
UCLouvain
National Gallery (London)
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB)
Synchrotron européen de Grenoble (ESRF-EBS)

Les oxalates à la surface et au sein de la couche picturale

Lorsque les panneaux du « Christ entouré d’anges chanteurs et musiciens » de Hans Memling faisaient l’objet d’une restauration importante dans l’atelier du KMSKA, on y observait une couche grisâtre agissant comme un voile qui défigurait le tableau. Celle-ci était insoluble avec les solvants habituellement utilisés. Les analyses de cette croûte montrèrent qu’elle était principalement composée d'oxalate de calcium, que l’on retrouve également dans d’autres couches riches en liants telles que des vernis ou des glacis. Ce problème a aussi été décelé lors de la première phase de restauration de l’Adoration de l’Agneau mystique. L’œuvre des frères Van Eyck présentait des tâches transparentes dans laquelle les oxalates métalliques étaient mélangées avec des matériaux picturaux et d’autres produits d’altération. Le problème ne se situait donc pas exclusivement à la surface de la peinture, dans une couche que l’on pourrait enlever. Les oxalates donc envahissaient aussi les couches de peinture originale !

Nos experts du Laboratoire des polychromies ont donc coordonné le projet MetOx, lancé en 2017 dans le cadre de l’appel à projets BRAIN de BELSPO, en collaboration avec des partenaires nationaux et internationaux : l’UAntwerp, l’UCLouvain, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, la National Gallery de Londres et le synchrotron européen de Grenoble (ESRF-EBS). L’objectif du projet était de déterminer l'ampleur de la distribution d'oxalates métalliques dans les couches picturales ainsi que les mécanismes chimiques entraînant leur apparition dans les peintures à l'huile des Pays-Bas méridionaux produites entre les 15ᵉ et 17ᵉ siècles.

L'oxalate métallique, une petite molécule aux relations complexes

Les laboratoires de chimie du patrimoine ont une vision privilégiée sur la matière des œuvres d'art. Le laboratoire des polychromies de l’IRPA est dédié à la compréhension des matériaux picturaux, c'est-à-dire des pigments et des liants, et de leur interaction.

Un oxalate métallique est une molécule très petite qui fait partie de la famille des carboxylates métalliques. L'acide oxalique se trouve à l'état naturel sous forme d'oxalate de potassium ou de calcium dans les racines et rhizomes de nombreuses plantes telles que la rhubarbe ou les plantes de la famille des oxalis (d’où le nom). Le projet MetOx a investigué le mécanisme de formation des oxalates métalliques dans une couche picturale à l’huile. Il a porté sur l'hypothèse que ces molécules proviennent d’interactions chimiques entre les pigments et le liant huileux facilités par l'apport de lumière et d'humidité et de certaines conditions de conservation. Avec le temps, ces produits d’altération se génèrent de façon spontanée dans la couche picturale à l'huile. Ces interactions entre pigments et liants sont extrêmement complexes et mettent en œuvre toute une série de mécanismes chimiques qu'il faut étudier.

Screenshot 2022 10 28 at 15 12 17

Une base de données d’échantillons historiques

La connaissance du phénomène,, n’est pas récente et remonte au 18ᵉ siècle, mais l’observation a bénéficié d’outils comme la microspectroscopie infrarouge à transformée de Fourier, une technique d'analyse aujourd’hui courante qui a d'ailleurs été utilisée sur ce projet. Cette technique, qui permet de plonger dans la matière, est complémentaire des méthodes d’analyse macroscopique, qui s’intéressent à la surface des objets, et qui ont été également utilisées dans ce projet. L’IRPA a par ailleurs utilisé sa riche reserve d'échantillons, unique en Belgique, afin de réaliser de nombreuses microanalyses sur des centaines de couches picturales appartenant à un très grand nombre d'échantillons. Avec une approchestatistique, cette étude a permis d’évaluer certaines caractéristiques fondamentales de ce phénomène, comme la composition des oxalates métalliques retrouvés dans les peintures, leur distribution spatiale au sein des couches picturales ou leur association avec certains matériaux picturaux spécifiques (pigments, impuretés, charges, etc.).

Par ailleurs, des maquettes simulant le comportement des peintures historiques à l’huile ont permis de mieux apprivoiser ces molécules : cet axe de recherche a permis de recréer des couches picturales, avec des compositions connues et contrôlées, vieillies artificiellement afin d’observer le processus de formation des oxalates pour confirmer ce qu'on observait du côté macro et micro dans les peintures historiques et leurs échantillons. L’équipe en conclut que l’huile utilisée comme liant de la couche picturale peut être le “réacteur chimique” qui produit les oxalates métalliques, par l'interaction ou l'exposition de la peinture à la lumière et à l'humidité en présence de certains pigments. Contrôler la quantité de lumière qu'une peinture reçoit et travailler à des valeurs d'humidité relative moyenne permettrait donc de réduire la vitesse de développement de ces produits d’altération.

220927 Met Ox Midi IRPA final

La collaboration, raison du succès du projet

Nos équipes n'auraient pas pu faire cette recherche sans les avancées scientifiques qui se produisent jour après jour dans le domaine. Compter avec l’expérience et les connaissances de chacun des partenaires a été également essentiel à la réussite du projet. Le projet a permis aussi de former un réseau de scientifiques intéressés par ce phénomène d’altération des peintures anciennes. Marika Spring et Catherine Higgitt de la National Gallery de Londres ont ouvert le chemin de recherche dans le domaine plus général des carboxylates dans les couches picturales à l'huile, les savons et les oxalates métalliques. L’équipe du professeur Koen Janssens, de l’Université d'Anvers, s’est chargée des macroanalyses de surface permettant une vue d’ensemble de la composition et distribution de ces molécules sur des zones étendues des peintures. Celle du professeur Arnaud Delcorte, de l’UCLouvain, a permis d’explorer l’utilisation d’une nouvelle technique analytique, le ToF-SIMS, pour la détection des oxalates métalliques dans les couches picturales à l’huile. L’IRPA est reconnaissante du travail et de la motivation de l’ensemble des collaborateurs du projet qui contribue à améliorer la connaissance et la compréhension de la dégradation des peintures à l'huile dans le temps. Les résultats du projet sont maintenant en cours de publication.

De nouvelles hypothèses

Les résultats du projet MetOx démontrent que, dans la plupart des cas, les oxalates métalliques se trouvent à l’intérieur de la couche picturale et tant qu’ils restent là, tranquilles, ne font pas trop de problèmes. Par contre, s’ils migrent ou se forment en grande quantité à la surface, le problème des voiles grisâtres peut advenir en créant des problèmes pour la conservation-restauration de ces peintures. C’est pourquoi nos chercheurs vont maintenant s’intéresser à la migration de ces composées et des carboxylates métalliques en général. De nouvelles hypothèses de recherche sont d’ores et déjà présentes pour de futures recherches dans ce domaine : comment ces composés interagissent entre eux, comment bougent-ils au sein de la couche picturale, etc.

Projet suivant

Climate2Preserv

Réduire la consommation d'énergie des institutions patrimoniales est un sujet d'actualité. Cependant, en raison de la diversité des types de bâtiments, des vulnérabilités des collections et, à l’international, de la variété des zones climatiques, il est parfois difficile de savoir quelle stratégie est la plus optimale sur le plan de la durabilité. Climate2Preserv est un projet qui vise à développer un protocole afin d’aider les institutions culturelles à explorer différentes stratégies d'économie d'énergie tout en tenant compte de leurs collections, de leurs bâtiments, de leurs systèmes, et plus encore. Le projet contribue à la recherche internationale portant sur les questions de conservation préventive et de durabilité.

Voir ce projet