Continuer vers le contenu

L'Adoration des Mages, un retable exceptionnel de Jan II Borman en provenance de Milan

Pendant longtemps, le retable de l’Adoration des Mages dans la basilique San Nazaro Maggiore de Milan a été attribué à un artisan allemand. Aux termes d’une étude et d’une restauration effectuées par l’IRPA, il se révèle comme un chef-d’œuvre d’une célèbre dynastie de sculpteurs bruxellois : les Borman. Cette œuvre capitale retrouve sa splendeur d'antan et nous offre un aperçu fascinant des échanges internationaux du XVᵉ siècle au sein de l’Europe.

Période
2023
Partenaires
Fondation Périer-D'Ieteren
Surintendance des biens culturels de Milan
Fonds Jean-Jacques Comhaire
Fonds René et Karin Jonckheere
Fondation Roi Baudoin

Une découverte “boremanesque”

C’est Myriam Serck, directrice émérite de l’IRPA, qui, lors d’une visite de la basilique San Nazaro Maggiore, s’est retrouvée face à un retable alors considéré comme d'origine allemande. Elle y reconnut à travers de nombreux détails une œuvre d’origine bruxelloise. « Malgré l'état du retable, alors recouvert de vernis bruns et d'une épaisse couche de poussière, le style et la qualité exceptionnelle de la taille des sculptures indiquaient un travail typiquement boremanesque », raconte Emmanuelle Mercier, responsable de l’Atelier des sculptures en bois polychromé de l’IRPA. C’est la découverte de marques frappées dans le bois qui a permis de confirmer de manière irrévocable que l’œuvre est bien une production de la guilde des menuisiers et de la guilde des sculpteurs de la ville de Bruxelles.

La dynastie de sculpteurs à laquelle le retable, datant du XVᵉ siècle, est aujourd’hui attribué, les Borman, a su se distinguer par leur maitrise exceptionnelle de l'art sculptural. Leur maitrise de la taille de sculptures en ronde-bosse, c'est-à-dire sculptées sous tous les angles, a attiré l'attention des puissants de l'époque. Leur renommée s'est étendue bien au-delà des frontières des anciens Pays-Bas méridionaux, leurs retables ayant été exportés dans toute l'Europe. Les Borman appartenaient à la corporation des Quatre Couronnés qui rassemblaient maçons, tailleurs de pierres, sculpteurs et ardoisiers de la ville, et dont la maison occupe le numéro 18 de la Grand-Place. « On sait maintenant que la famille est originaire de Leuven. Jan II, s'installe à Bruxelles où il est inscrit à la guilde dès 1479, suivi de son fils, Pasquier en 1492, de Jan III en 1499, sans oublier Marie, également sculptrice, qui décède en 1545. »

Une bande dessinée en relief

La restauration de ce retable brabançon est bien plus qu'un simple travail de conservation : c'est une véritable plongée dans l'histoire, une redécouverte des techniques et des couleurs de l'époque médiévale. Mais qu'est-ce qu'un retable exactement ? Il s'agit d'un objet liturgique placé sur un autel, représentant le plus souvent la Passion du Christ ou la Vie de la Vierge. Les retables sont comme des boites à images racontant des histoires saintes et servant de supports visuels lors des cérémonies religieuses. À Milan, ce retable était initialement placé dans une chapelle, mais il a ensuite été placé dans le cœur de l'église, emmuré et protégé par une vitre.

Au-delà de sa beauté esthétique, ce retable nous plonge dans l'histoire médiévale et les échanges internationaux de l'époque. « Commandité par un riche marchand milanais faisant commerce avec le Nord, le retable représente les rois mages venus de très loin offrir leurs présents. Leur chevauchée, ainsi que le montre les paysages d’arrière-plan, fait peut-être écho aux longs voyages et aux échanges intenses au sein de l’Europe médiévale », explique Emmanuelle.

Emmanuelle Mercier

« Au XIXᵉ siècle, il était courant de vouloir renoncer à la polychromie des sculptures médiévales alors considérée comme trop criarde, voire vulgaire, ce qui s’est traduit pas des décapages intempestifs ou, comme ici, par l’application d’épaisses patines foncées. »

Emmanuelle Mercier, responsable de l’Atelier des sculptures en bois polychromé

Une restauration minutieuse

Ce chef-d'œuvre médiéval a fait l'objet d'une restauration minutieuse, révélant des trésors cachés depuis des siècles. Avant même de commencer la restauration, une phase d'étude approfondie a été nécessaire pour comprendre la technique utilisée et décrypter ce qui se cachait sous l'épais vernis brun. Des tests de solubilité et des méthodes spécifiques ont été mis en place pour éliminer ce vernis sans endommager la polychromie.

L’équipe de restaurateurs a dû faire face à de nombreux défis. La complexité de ce travail réside dans le fait que chaque surface du retable est différente, ce qui nécessite une adaptation constante de la méthode de restauration. Emmanuelle Mercier rapporte : « On y retrouve toutes les techniques et les motifs décoratifs qui étaient utilisés à la fin du XVᵉ siècle à Bruxelles rassemblés dans une seule œuvre de manière quasi exubérante. » Des motifs autrefois illisibles sont réapparus, de même que les visages dont on peut à nouveau apprécier les expressions. Les détails subtils, comme les bouches laissant entrevoir des dents blanches, donnent l'impression que les personnages prennent vie sous nos yeux.

Emmanuelle Mercier

« On y retrouve toutes les techniques et les motifs décoratifs qui étaient utilisés à la fin du XVᵉ siècle à Bruxelles rassemblés dans une seule œuvre de manière quasi exubérante. »

Emmanuelle Mercier, responsable de l’Atelier des sculptures en bois polychromé

Retrouver sa splendeur d’origine

Le retable de Milan avait été recouvert d'une épaisse couche de vernis brun sur lequel s’est accumulée de la poussière, ce qui avait altéré sa beauté d'origine.

X154710 avant small X161249 apres small

Ce projet d’étude et la restauration de l'Adoration des Mages ont été réalisés en partenariat avec la Surintendance des biens culturels de Milan, la paroisse San Nazaro Maggiore et le diocèse de Milan et sont accompagnés d’un comité scientifique international. Ils ont été rendus possibles grâce au Fonds Jean-Jacques Comhaire et au Fonds René et Karin Jonckheere gérés par la Fondation Roi Baudoin. Ils ont uni leurs forces avec la Fondation Périer-d'Ieteren et la banque italienne Intesa San Paolo.

Projet suivant

Triptyque de Dieric Bouts temporairement retourné en Belgique depuis Grenade après plus de 500 ans

Dans les années à venir, l'IRPA accueillera un nouvel invité de marque. Le Triptyque de la Descente de Croix, peint par Dieric Bouts entre 1450 et 1458, sera analysé, étudié et restauré avant de retourner à la chapelle royale de la cathédrale de Grenade, en Espagne, en 2026.

Voir ce projet