Fabrique d’église de la cathédrale Saint-Bavon
Le registre supérieur : de nombreux défis
En 2012, l’Institut royal du Patrimoine artistique (IRPA) a lancé, dans le cadre d’une large collaboration, une vaste campagne de restauration de l’une des œuvres d’art les plus emblématiques au monde, l’Agneau mystique (1432) des frères van Eyck, conservée dans la cathédrale Saint-Bavon de Gand. Cette campagne se déroule en trois phases. À présent, c’est au tour des sept panneaux du registre supérieur du polyptique ouvert de bénéficier d’un traitement spécialisé visant à valoriser et à conserver l’ensemble du retable dans un état homogène et sûr.
Le registre supérieur du retable ouvert se distingue du reste du chef-d’œuvre sous deux aspects principaux. Premièrement, il diffère par sa diversité technique et stylistique. Il réunit trois grandes figures centrales (Marie, la figure divine et Jean-Baptiste) dans un décor complexe, entourées, de part et d’autre, de groupes d’anges chanteurs et musiciens sur fond de ciel bleu et des deux grands nus, Adam et Ève. Deuxièmement, l’état de conservation des panneaux est très différent, car ils n’ont pas subi les mêmes traitements dans le passé et n’ont pas toujours été conservés dans les mêmes conditions.
Les trois panneaux centraux représentant Marie, Dieu Le Père et Jean-Baptiste ont été confisqués en 1794 et emportés à Paris pour être exposés au Musée Napoléon jusqu’en 1815. Ensuite, ils ont été replacés dans la cathédrale Saint-Bavon. Les problématiques de ces panneaux sont en grande partie semblables à celles des panneaux traités lors des première et deuxième phases de la restauration. Ils présentent de nombreux surpeints et retouches.
Le défi majeur est la restauration de l’arrière-plan des trois figures centrales, car il comporte également des brocarts appliqués, une technique sophistiquée d’imitation du textile pour représenter des étoffes précieuses. Il s’agit de petites applications en relief composées de feuilles d’étain, de cire, dorées à la feuille et ensuite peintes. La composition complexe de matériaux divers, ayant chacun subi des dégradations spécifiques au cours des siècles, rend leur restauration particulièrement délicate.
Les panneaux latéraux représentant les anges chanteurs et musiciens, entourés d’Adam et d’Ève, ont eux aussi leur propre histoire. Les panneaux avec les anges ont été vendus en 1816 à un marchand d’art. Après plusieurs pérégrinations, ils sont acquis par la collection royale prussienne à Berlin en 1821. En 1894, ces volets d’origine double-face ont été sciés en deux à travers leur épaisseur afin de pouvoir montrer simultanément toutes les surfaces peintes. Après la Première Guerre mondiale, ils ont été ramenés à la cathédrale de Gand dans le cadre du Traité de Versailles, à titre de compensations pour les dommages de guerre. Ces panneaux présentent de nombreuses craquelures prématurées, apparues durant le processus de séchage des couches picturales. Le parquetage sur le revers des panneaux constitue également un défi supplémentaire en matière de restauration.
Les panneaux d’Adam et Ève sont restés en Belgique et ont été exposés en 1861 aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB). En 1921, ils ont été donnés en dépôt à la cathédrale Saint-Bavon, où l’Agneau mystique est, depuis lors, à nouveau exposé dans son intégralité. Les supports en bois des panneaux avec Adam et Ève ont déjà été traités durant la première phase de la restauration. La grande zone de surpeints représente aussi un défi lors de la troisième phase.
Durant cette troisième phase, l’équipe stabilisera les couches picturales et les supports en bois du registre supérieur de l’Agneau mystique afin de rétablir l’équilibre pictural entre tous les panneaux. Dans un premier temps, les couches de vernis non originales seront enlevées et on examinera les types de surpeints du XVIe
siècle présents afin de déterminer s’ils peuvent être enlevés pour révéler l’œuvre originale des frères van Eyck. Les lacunes dans les panneaux peints seront comblées et minutieusement retouchées. Les conservateurs-restaurateurs retrouveront les nuances et détails subtils de l’original, et l’Agneau mystique formera un magnifique ensemble à l’œil nu. Sur le site Closer to Van Eyck, les visiteurs peuvent zoomer sur les détails de l’œuvre et y discerner les retouches. Enfin, le retable sera couvert d’une nouvelle couche de vernis afin de saturer les couleurs et protéger la surface. Les supports en bois et les cadres seront également traités. La contribution précise de Hubert et de Jan van Eyck, l’un des grands mystères de l’histoire de l’art, sera fondamentalement étudiée de manière plus approfondie. L’étude et la restauration durable du retable apporteront une contribution cruciale, tant du point de vue esthétique que de celui de l’histoire des techniques picturales de la fin du Moyen Âge en général et de celle des frères van Eyck en particulier.
« Notre expertise sur la question complexe de l’Agneau mystique, est unique, tant du point de vue de la réalisation que de l’étude scientifique. Elle nous permet d’assurer la cohérence matérielle et visuelle de l’ensemble du retable après la restauration. Le traitement de ces panneaux très divers, avec de splendides figures grandeur nature et des problématiques variées, est un véritable défi. »
Une collaboration maximale
Pour la troisième phase de la campagne de restauration de l’Agneau mystique, celle du registre supérieur du polyptyque ouvert, l’équipe interdisciplinaire de l’IRPA est de nouveau à pied d’œuvre. Elle est composée de conservateurs-restaurateurs, de chimistes, de physiciens, de techniciens et d’historiens de l’art hautement spécialisés, qui, grâce à l’expérience acquise au cours des deux premières phases, garantissent l’homogénéité du projet. L’interdisciplinarité essentielle et profonde de l’IRPA formait déjà la base des deux précédentes phases de la restauration et a été saluée tant en Belgique qu’au niveau international.
L’équipe centrale* de conservateurs-restaurateurs est complétée par des spécialistes de renommée internationale dans la conservation-restauration de la dorure et de la polychromie et, pour cette troisième phase en particulier, de brocarts appliqués des XVe et XVIe siècles.
*Dr Hélène Dubois, Kathleen Froyen, Dr Griet Steyaert, Marie Postec, Nathalie Laquière, Françoise Rosier, Laure Mortiaux
Le projet est à nouveau également encadré par une commission internationale interdisciplinaire d’experts (photo ci-dessous) et par divers acteurs du secteur du patrimoine flamand et belge.
Un traitement en trois phases
Les phases déjà achevées de la campagne de restauration ‒ la première, celle du polyptyque fermé (2012-2016), et la deuxième, celle du registre inférieur du polyptyque ouvert (2016-2019) ‒ ont mené à des découvertes stupéfiantes. Très tôt, dès 2012, il est apparu que l’état du retable était plus complexe qu’on ne le pensait. En effet, la peinture originale de Jan van Eyck, partiellement cachée sous des surpeints pendant cinq siècles, a été redécouverte et mise au jour. La révélation de l’agneau original sur le panneau central en 2018 est particulièrement remarquable. Les couches picturales du XVIe siècle ont été soigneusement enlevées pour laisser place à la représentation de Van Eyck, datant du XVe siècle, qui s’est avérée très différente.
La qualité picturale retrouvée des peintures dépasse toutes les attentes. En outre, les experts de l’IRPA ont pu identifier la contribution précise de Jan et de Hubert van Eyck, prouver l’authenticité des inscriptions avec la date et l’attribution sur le cadre, et révéler les magnifiques imitations de pierre sur les cadres, qui donnent l’illusion de placer les tableaux dans un décor architectural. Lors de cette troisième phase aussi, qui devrait s’achever au printemps 2026, nous nous attendons à des découvertes intéressantes.
« Grâce à l’étude, au traitement et aux publications sur les deux phases précédentes, l’IRPA et ses partenaires ont marqué un tournant décisif dans la connaissance de la peinture des frères van Eyck. À l’aide des nouvelles technologies de pointe et d’une large équipe interdisciplinaire, les peintures sur panneaux ont fait l’objet d’une étude approfondie qui a permis, pour la première fois, de distinguer tant le dessin sous-jacent et la contribution précise de chacun des deux frères van Eyck que les divers surpeints réalisés ultérieurement. Nous poursuivrons nos recherches lors de la dernière phase de la restauration. Les sept panneaux supérieurs du retable ouvert mèneront sans doute aussi à des découvertes inattendues. »
La restauration de l’Agneau mystique est un projet réalisé à la demande de la fabrique d’église de la cathédrale Saint-Bavon de Gand. Le dossier de la troisième phase a fait l’objet d’un appel d’offres européen et a de nouveau été attribué à l’IRPA. Le financement de cette troisième phase provient à 80 % du gouvernement flamand, dont 40 % de l’Art et patrimoine et 40 % du Patrimoine immobilier (au total : 1 500 000 euros). Les 20 % restants sont pris en charge par la fabrique d’église et cofinancés par le Fonds Baillet Latour. Les recherches scientifiques menées dans le cadre du projet sont soutenues par le Gieskes-Strijbis Fonds et les universités d’Anvers (UAntwerpen) et de Gand (UGent).
Comme lors des deux premières phases de la vaste campagne de restauration de l’Agneau mystique, le public peut suivre de près le traitement. Depuis le 8 mai 2023, les visiteurs peuvent voir les restaurateurs de l’IRPA à l’œuvre dans l’atelier du Musée des Beaux-Arts de Gand (MSK), en semaine, durant les heures d’ouverture. Le retable est toujours exposé dans le centre des visiteurs de la cathédrale Saint-Bavon. Durant les travaux, les panneaux restaurés au MSK sont remplacés par des copies sur le retable dans la cathédrale.
Plus d’infos ?
L’IRPA publie les résultats des recherches sur son site et sur Closer to Van Eyck (en collaboration avec la Fondation Getty). Sur ce dernier, vous pouvez zoomer sur les images en haute résolution de l’Agneau mystique et de tous les autres tableaux de Jan van Eyck et son atelier. Le site est consultable en libre accès et s’adresse tant aux chercheurs qu’au grand public.
Pendant et après la campagne de restauration, s’ensuivront également des publications, des conférences lors de colloques internationaux, des conférences invitées dans des universités et des présentations pour un large public d’amateurs d’art.
Les deux premières phases de la restauration ont déjà été minutieusement documentées dans les publications The Ghent Altarpiece. Research and Conservation of the Exterior (2020) et The Ghent Altarpiece. Research and Conservation of the Interior: The Lower Register (2021).
Source des images : Sint-Baafskathedraal Gent, www.artinflanders.be, photos KIK-IRPA
« Nous sommes fiers de pouvoir à nouveau montrer l’interdisciplinarité de l’IRPA pour la dernière phase du traitement de l’Agneau mystique. Chaque étape de la conservation-restauration s’accompagne d’une étude approfondie menée par plusieurs équipes de notre institution et des partenaires externes. Nous documentons minutieusement ces recherches et les partageons avec le public par le biais de divers canaux. Comme toujours, l’IRPA cherche à diffuser au maximum les connaissances et données scientifiques innovantes que nous mettons au service du secteur du patrimoine et de la communauté patrimoniale au sens large. »